Histoire

Voici l’histoire la plus probable de cet édifice unique en son genre, dont il faut noter dès le départ qu’il est appelé “des Mathurins” par abus car il n’a jamais appartenu à cet ordre religieux.

I. Le vieux manoir médiéval

@ Dendrotech, 2024
@ Dendrotech, 2024

Au plus tard vers 1350, Robert Fourmage, bourgeois de Lisieux qui tient un fief dans les environs de Pont-l’Evêque, est propriétaire de ce petit manoir. Celui-ci est sis à Ouilly-le-Vicomte, paroisse constitutive de la banlieue lexovienne. On n’en sait pas plus ni sur la période antérieure, ni sur son utilisation alors. On ignore aussi l’étendue des bâtiments; ce qui nous en reste, très remanié, représente la partie ouest du pressoir actuel. Peut-être s’implantait-il également sur la partie est, et que celle-ci a été par la suite détruite pour un autre type de construction. Les pavillons et la galerie sont bien ultérieurs.
En 1356, les Anglais ravagent la région et endommagent le manoir. Fourmage s’en désintéresse: en 1374, il le baille à fieffe à perpétuité à son voisin d’Ouilly, à condition qu’il le répare; et en 1397, il en cède finalement les droits seigneuriaux à un chanoine de la cathédrale de Lisieux, Jean de Mâcon.
Longeant la route qui menait de Lisieux à Pont-l’Evêque et, plus loin à Honfleur, le domaine a dû être inquiété durant l’occupation anglaise de Lisieux (1417-1449), en particulier autour de 1440, période de grands troubles dans la région. C’est alors qu’on aurait construit un mur de protection le long du chemin.
Le retour du pouvoir royal français et la redistribution féodale qui s’en est suivie a touché le manoir. En 1478, c’est désormais le chapitre cathédral qui détient la rente seigneuriale; il baille à fieffe le manoir à l’un de ses membres, Yves Toustain, en 1487. Jusqu’en 1513, l’édifice reste dans la famille, l’une des très rares à avoir été reconnue noble à Lisieux par la recherche de Monfault (1463).
La majeure partie du 16e s. semble chaotique. De 1513 à 1541, le manoir passe de mains en mains parmi les bourgeois lexoviens, sans que personne ne verse la rente au chapitre: il est donc très probablement inoccupé. Les guerres de religion n’ont pas contribué à plus de régularité; en 1562, Lisieux est mis à sac, et ce n’est que tardivement, en 1590, que la paix revient. Il faut imaginer que le manoir vivote pendant tout ce temps et qu’il se détériore.

© Sébastien Broise, 2024

II. La Renaissance normande: la galerie et son pavillon

@ Dendrotech, 2024

Au plus tard en 1582, il est repris par Robert Vimont, bourgeois en vue de Lisieux plein d’ambition. Il est du parti catholique et a racheté en 1572 un petit fief non loin de là, à Saint-Philibert-des-Champs, à un seigneur huguenot (en déroute?). Soucieux de son image, il projette une “demeure aux champs” selon les préconisations de Du Cerceau en transformant le vieux manoir en pressoir et en bâtissant une galerie flanquée de deux pavillons, dont l’un sera repris de fond en comble ultérieurement. Du haut de la coursive, il peut ainsi admirer ses hommes travaillant la terre, et passer la nuit loin de la ville; il sacrifie à la mode du temps tout en se ménageant un asile pratique lors des épidémies qui secouent Lisieux et ses environs encore à cette époque. Il n’est pas exclu que l’idée de cette construction lui ait été soufflée par Marin Le Bourgeois, génie écléctique de Lisieux devenu peintre du roi et avec lequel il est en relations financières; de plus, Le Bourgeois possédait une maison à Ouilly, de l’autre côté de la Touques.

© Sébastien Broise, 2024
© Sébastien Broise, 2024

Les héritiers de Vimont feront fortune à Rouen au 17e s.; ils se désintéresseront progressivement du manoir, qui passe par alliance à un bourgeois du Havre, Ricquier des Londes. C’est probablement lui qui fait (re)construire le pavillon Sud autour de 1675.

@ Dendrotech, 2024

III. Les temps nouveaux: un bâtiment agricole

Le site devient exploitation agricole à partir du début du 18e s. Ses propriétaires seront alors tous des horsains qui n’y ont probablement jamais mis les pieds.
Au vieux logis transformé en pressoir a été adjoint, probablement dès le 17e s., un espace à la fonction indéfinie, qui servira d’abri à une presse à longue étreinte et un tour à gader au plus tard dans la dernière décennie de l’Ancien Régime. Proclamé bien de la nation (seconde provenance), le manoir est racheté par un marchand de Lisieux en 1793. Il intègre le domaine dans celui de la ferme dite des Mathurins, qu’il a rachetée aussi. Dès les années 1830, il est certain que le lieu n’est plus qu’un bâtiment agricole; on y habite jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, cependant.

© Sébastien Broise, 2024
© Association Le Pays d’Auge, 2007 (source)